Eliane K. Arav

Night clubing



Sueur de

par Eliane K. Arav ¤


Q



ueen


Le Queen eut son heure de gloire et de drôlerie. Il y a quelques semaines, l'illustre boîte gay et Élyséenne fêtait son quatrième anniversaire.
Latex sans saveur, rhytmique sans âme et désoeuvrée, une mini-foule sans sentiment.


Nathalie Novi
Nathalie Novi


MARDI 3 décembre 1996, 18 H. Une bombe explose dans le RER. Deux morts, trente blessés, sept graves dont trois désespérés. Mardi 3 décembre 1996, 23 H. La vie continue, le mauvais goût aussi. Le sang est rouge, et, sur les lèvres, le fard, la même couleur. Les Champs Elysées viennent d'être strassés et diamantés de frais pour les fêtes de fin d'année. Au 102, le Queen fête ses quatre ans. En rouge, avec une pointe de rose. Au bout des seins, Happy birthday ! Mais les rubis sont en toc, et comme toujours pour les anniversaires, on en fait trop.

Il pleut. A l'entrée, le tapis rouge est en plastique et poils de moumoute mouillés. Ça démange aux talons. Un nain de jardin soigné escorte, sautillant, une Cruella au crin bleu, perchée sur ses drag-mobiles, l'oeil flou, la paupière pailletée et lourde, battant l'essuie glace et le pavé devant la porte, derrière l'épais rideau de faux-cils frais. Odeur de colle. L'avant scéne en rodage, elle pointe sa moue suggestive, ses deux métres et ses plumes. Sans rire. On est pas là pour ça. Le ridicule se prend terriblement au sérieux, et peut-être bien pour la réincarnation de Marilyn. Au moins, d'ailleurs, les Drag-Queen ne pensent qu'à ça : leur pomme.

Justement, le phénomène est né à New York, The Big Apple, à la fin des années 80, Au Chelsea Hotel, Andy Warhol n'est plus là, mais Suzanne B, y réside. Et là, dans les vapeurs de la nuit, le Velvet underground, prend un coup de lune rose, et la belle Suzy invente une nouvelle nuit avec le phénomène et ses créatures.

Arrivé en France sur un vrai tapis rouge de stars, celui de Cannes, le film, Priscilla folle du désert, de Stephen Elliott est présenté au festival 1994. Les Drag-Queen ont commencé par faire rire. C'était gai, fou, et franchement joyeux. Leur place était dans la comédie, leur genre, une fantaisie d'un nouveau style : les drag-Queen, dignes hétitières de Jack Lemmon et Tony Curtis, petites filles extravagantes nées du chef d'oeuvre de Billy Wilder, Certains l'aiment chaud. En 1959, Tony Curtis portait des jupes sans jouer les Marilyn : ils étaient partenaires.

On garde la pause, le moral et le nez sur l'écran ; on en espère pas moins d' « Extra-vagance » comédie sur le même thème qui sort en ce moment en France. Justement la drag-coach de Patrick Swayze, Candis Cayne a fait spécialement le déplacement de la Big Pomme jusqu'à la pelouse, pour parrainer l'avant première du film et anniversoyer « le Queen ». Sortons de l'écran et revenons à la sueur de la douche.

La déception est spontanée. La fête est une grimace poussive, une caricature sordide d'un vide désespéré qui cherche à mettre quelqu'un à sa place.

Le bon profil est celui du trottoir. Le point de vue favorable aussi... Est-ce pour dissimuler la vérité intérieure que la tigresse, à l'entrée du Queen, qui concède les « scuilàoké » selon des critères homo-fluo diaboliques, cherche des poux à ceux qui n'ont pas une gueule d'habitude ou l'uniforme de nain de jardin moulé chez Tintin ? La négociation est désespérée parce qu'irrésistiblement simple et mathématique : afficher son passeport Drag-Quenn, sinon, on préfère voir entrer les garçons. La négociation est cruelle : sont refoulées deux innocentes.

En tous cas, une fois dedans, on s'emmerde tout de suite. La techno boum-boum ausculte et retourne nos coeurs de ses pulsions métalliques et celui de ce monde qui se décompose à l'image. Rien ne paraît plus que l'apparaître. Mon aorte boulversée me réclame très vite un pacemaker, la conne. D'abord c'est plus petit que ce qu'on imaginait. Mais l'imagination est un mirroir déformant: il voit toujours plus grand que ses yeux, son ventre. Sur la scène, c'est pareil. Un plateau court et surélevé. Dessus, jonchées, trois Drag-Queen exemplaires, en uniforme rose barbe à papa, moulée dans des coupons de vinyles scintillants et échancrées là où les vraies filles ont quelque chose à montrer. Et elles se dandinent, échassées sur leur drag-mobiles, sortes de cuissardes en skaï, à lanières agressives, plus ou moins SM, et elles se disputent en s'échauffant le volant, sur leur bout de carré dans le numéro onaniste. J'allais oublié la toque fleurie en forme de suppositoire géant just arrived from « The Famousse Carnaval from quelque part ». Toujours entre deux, les filles.

Et peu spirituelles avec ça. Des vraies professionnelles. Mais de quoi ? Elles font partie de ce décor : mobiles fluo agités par le ventilateur du temps. On les regarde rouler de la croupe suggestive. Dans un coin, assises sous le filet tendu et le réverbère décoratif, quatre dragues-peplum en toge et au crâne rasé, papotent entre filles. Les gogos-boys, perchés sur un tremplin improvisé, tombent le tee-shirt exhibant leur torses dessinés par la fonte, le rythme dans la peau, se distinguant par leurs tee-shirts tatoués, les gardiens du temple « Queen », roulent des biceps sur-vitatopés entre les poseurs. Un nouveau morceau démarre. Ça parle chewim-gum-minimum, mais ça déchire le palpitant.

Justement, sur scène, c'est un moment. Changement de modèles : les trois bouquets de fleurs s'éclipsent de la hauteur avec une indifférence démonstrative et trois nouveaux « Queen », à la peau noire et en top-sex rouge échaudent le tremplin et explosent. L'un des drag-truc, plus que les autres : les cheveux gominés, la gueule épilée et fardée, moulé dans un collant noir, mettant en valeur le galbe du mollet viril, le corps ou plutôt, le torse scotché dans sa tunique en vinyle couleur sang dont l'ourlet a la bonne idée de s'arrêter ras le paquet, s'agite, le mettant en valeur de façon délicate.

Chacune pour soi, s'éclate pour elle toute seule. Combien d'heures passées devant la glace ! Car ce monde qui se montre, se drague ou se méprise, a le seul mérite d'aller jusqu'au bout : jusque dans les toilettes où l'on va discrétement se mélanger les pinceaux.

Le malaise est grandissant devant ce spectacle. Ce microcosme agité cherchant désespérément un sexe à se mettre est d'une misère pathétique, entre clones, devant le cirque, il devient pervers. Envie de se barrer. Clap. Quitter ce monde de Barbie sans âge. La poupée est pipée et liftée. A la fête rose le trône est vide. Vite dehors. Le tapis rouge et le bitume frais des Champs mouillé. Singing in the rain ! Nom de dieu !


¤ Ecrivain
Dernier ouvrage paru :
le Penseur de Vallorbe, Gallimard.


Contacts© Le Chroniqueur, n°3, Janvier 1997, Paris.