Portfolio



Vérité du portrait

par Ulf Andersen ¤


Des écrivains répondent à l'affirmation suivante

Toute photographie est un vol
on vous a pris votre image
Ce portrait de vous n'est pas vous
Rétablissez la vérité.

TOUTE photographie est un vol, un découpage de temps et d'espace qui impose à l'esprit une présence imaginaire.
Issues de l'arbitraire, les photos sont des faux certifiés conformes par l'appareil.
En posant, le sujet respecte les règles d'un jeu social qui reconnaît derrière l'individu, l'homme public : l'écrivain.
En posant, il s'identifie, se perd et se retrouve.
La prise de vue devient un théâtre ou se règlent des conflits dont Ulf Andersen photographie le résultat (les turbulences).
Sur un fil, il oscille d'une réalité à l'autre et transforme la trame photographique en une géométrie incertaine.
De nouveaux repères se dessinent.
Le portrait est-il une imposture ? Le photographe un manipulateur ?
De l'individu à l'écrivain, le décalage est temporaire-définitif.

Agence d'Art et d'Images Anonymes.




Marek Halter
Marek halter

IL arrive qu'une photo sonde un regard, enlève un mouvement : le photographié y lit une idée de lui-même, une image connu-inconnue. Au fil des ans il regardera cette photo avec plus d'attention, tachant d'y surprendre la soustraction du temps. Ce portrait choisi par Ulf Andersen lui-même n'est pas celui que je préfère : il ne me ressemble pas. Il me révèle.



Julia Kristeva
Julia Kristeva

D'ABORD, la surprise : cette image n'est pas ce que je pense être. Trop belle ou pas assez, elle représente ce que je ne suis pas. La photo est fausse par définition. Ensuite, l'indifférence : cette figure apprêtée ne traduit pas ce que je ressens de ma peau, mes yeux, ma gorge. Une étrangère. Enfin, à la pointe des prunelles, dans le plis des paupières et des lèvres, sous la clarté des pommettes et la courbe des mains, des bras, quelqu'un se met à vivre. Je ne sais pas si c'est moi, mais c'est sûrement pour Ulf Andersen. Une bonne photo n'est pas une «personne prise». C'est l'instant où un artiste parvient à animer le masque qui me protège et que je vous destine.



Alain Robbe-Grillet
Alain Robbe-Grillet

MERCI pour la belle photographie. Mais, d'une part, je ne crois pas à la vérité en général, ni à la mienne en particulier. Et, d'autre part, je ne partage pas l'idée courante que l'on me «vole» en me photographiant. J'entretiens avec mon image des rapports suffisamment détendus (non conflictuels) pour supporter allègrement les photos et les photographes. Cela dit, cette image-là me paraît ressemblante. Je n'ai ainsi rien à rétablir.



Claude Lévi-Strauss
Claude Lévi-Strauss



« VEUILLEZ m'excuser, cher Monsieur.
Les portraits photographiques - surtout les miens -
ne m'inspirent pas,
et je n'ai aucun commentaire à offrir. »



Régine Desforges
Régine Desforges

JE regarde la photo en noir et blanc d'une dame habillée de noir. Une bande blanche éclaire le bas des manches de son vêtement. Elle pose un regard calme et attentif, vaguement ironique, sur l'objectif. Ce visage ne m'est pas inconnu, il me rappelle quelqu'un de très proche dont je sais peu de choses. Ses bras croisés, refermés sur elle-même semblent interdire l'approche, la protéger... Dans ce portrait, il y a une tension dans laquelle je me reconnais... Mes mains, faussement détendues, cachent l'angoisse du viol consenti.



Nina Bouraoui
Nina Bouraoui

PEUT-ÊTRE une photo doit-elle échapper, s'éloigner, tromper même la figure qu'elle représente. Surtout en matière humaine, où il est plus intéressant de saisir cette expression jusque-là inconnue du modèle. Cette photographie glisse entre mes doigts, je n'y retrouve aucun repère, une vague ressemblance peut-être... J'y vois un autre visage pris dans les filets de la frayeur, de la stupeur et de l'angoisse : les yeux sont anormalement écarquillés, le cou est celui d'une femme mûre, l'air est presque méchant ou très en colère. Il y a des cernes aussi sur le visage... mais peu importe, ces détails purement esthétiques ne comptent pas... l'important est ce nouveau visage qui emprunte mes traits, cette nouvelle expression que je ne connais pas. Ce n'est pas non plus un « cliché-vérité », c'est l'anti-portrait par excellence. C'est comme si je me regardais dans le miroir, et l'index pointé vers ma personne interroge la fausse image. Je fais la grimace. La grimace de la peur.



Tahar Ben Jelloun
Tahar Ben Jelloun


ECRIRE pour ne plus avoir de visage. Telle fut mon ambition quand j'ai commencé à écrire. Je suis aujourd'hui envahi par mon visage. Mon image me suit partout et m'encombre. En même temps, j'ai la faiblesse d'y céder. Ce qu'elle m'apprend sur moi est parfois assez surprenant. Cette photo est celle d'une sérénité toute apparente. L'inquiétude ­ pourtant grande ­ n'y apparaît pas. Je regarde l'objectif comme pour lui dire de ne pas tout dévoiler. Je suis heureux de mon âge, de mes rides, de ma fatigue qui se lisent aisément. Je n'aime pas la photo qui dissimule, détourne et ment. Ulf Andersen capte cette volonté de vérité. Mais rien ne vaut la rencontre vive, une rencontre de vive voix ! En fait tout est dans le geste, le regard, la présence du photographe. C'est lui qui participe soit à l'émergence de la vérité soit à celle du mensonge. Le pire, c'est l'entre-deux.



Arrabal
Arrabal

LE photographe face au poète joue à être Dieu et par moments il croit y réussir

IL veut aussi être le Diable mais il se demande avec quel succès ?

IL est surtout dévoré par un secret désir amoureux ... Mais lui aussi s'en veut de ne pas l'être plus encore.


LE photographe soupçonne comme le poète ou Svidrigailoff que nous demeurons dans une pièce nue aux murs badigeonnés de blanc et dont les recoins sont peuplés d'araignées noires.


¤ Photographe


Contacts© Le Chroniqueur, n°1, Octobre 1996, Paris.