Les sous ensembles flous du golfe
par François Thual ¤
Au Moyen-Orient les alliances se font, se défont, en quête d'un équilibre toujours aussi improbable.
LES observateurs du Moyen-Orient sont aguerris à l'instabilité géopolitique qui singularise cette région du monde. Renversements d'alliances et rapprochements inattendus sont une tradition. Ceci posé, les mois qui viennent pourraient malgré tout réserver quelques surprises aux plus attentifs.
De fait, sous le double effet des élections israéliennes et des accords militaires très importants passés entre Israël et la Turquie, un certain nombre de pays du Moyen-Orient sont en train de « changer de camp ».
Ces conflits et alliances peuvent se lire à plusieurs niveaux. Le plus lisible est le classement de ces deux pays en deux blocs : un bloc progressiste, jadis tourné vers l'URSS, mais qui - aujourd'hui - semble se tourner vers la Russie et un bloc pro-occidental soutenu par les Etats-Unis. Quand bien même cette considération pourrait paraître simpliste, elle est utile pour comprendre la situation.
Dans le bloc pro-occidental et sous la houlette de Washington on trouve désormais l'Egypte, l'Arabie Saoudite, Israël, les différents Emirats, et depuis peu, la Jordanie. De l'autre côté, la mise en place depuis deux ans d'un axe Moscou-Damas-Téhéran, prolongé par des alliances de facto avec le Soudan et le Yémen, s'inscrit dans ce retour discret de la puissance russe au Moyen-Orient. Cet axe, s'il ne fait pas l'objet de traités ou d'accords, repose sur une convergence profonde d'intérêts géopolitiques, voire économiques, de ces pays. Encore faut-il apporter à ce tableau quelques nuances. En ce qui concerne les Emirats, par exemple. Ainsi, depuis que l'Emir du Qatar a renversé son père, il semble se rapprocher de l'Iran, en raison de conflits territoriaux qui l'opposaient à l'Arabie Saoudite. D'autre part, le Sultanat d'Oman entretient de bonnes relations avec Téhéran. Et dans le clan réputé islamico-progres- siste, le Soudan se caractérise par une attitude ambiguë : tout en s'opposant à l'Egypte, il entretient de bonnes relations avec certaines capitales occidentales, dont Paris.
Une fois de plus, la nécessité de compréhension amène à des simplifications qui demandent d'être manipulées avec une très grande prudence.
Le Moyen-Orient est la terre d'élection des alliances contradictoires et simultanées. Aujourd'hui, c'est autour du problème de l'Irak. Non seulement un certain nombre de pays européens, dont la France, envisagent une levée de l'embargo qui le frappe mais surtout le bruit court que l'Irak et la Syrie auraient renoué des contacts, notamment lors d'une rencontre secrète entre le président Assad et Saddam Hussein. L'affaire est d'importance. Fâchés depuis seize ans, la Syrie et l'Irak s'opposaient sur tout, malgré un régime issu de la même tradition baasiste. Au cours de la première guerre du Golfe, la Syrie soutenait plutôt l'Iran; et elle s'est jointe à la coalition occidentale au moment de l'invasion du Koweit.
Aujourd'hui, l'alliance entre la Turquie et Israël, conjointement à l'arrivée de la droite israélienne au pouvoir, semblent réconcilier les deux dictateurs. Les voilà mus par la même hostilité à l'égard de la Turquie. Un contentieux territorial, fluvial, tout simplement stratégique. Le rapprochement militaire spectaculaire entre Ankara et Jérusalem a transformé la communauté d'hostilité en une convergence d'intérêts.
Si l'alliance syro-irakienne devait se concrétiser, c'est toute la zone du Croissant fertile qui passerait du côté du bloc progressiste : n'oublions pas que le Liban, occupé par 30 000 soldats syriens, est un état satellite de Damas. L'axe Le Caire-Ryad-Amman verrait se constituer contre lui un axe Bagdad-Damas-Sanaa-Beyrouth.
Les soucis des observateurs ne s'arrêtent pas là. Après le rapprochement avec la Syrie, certains avancent l'hypothèse d'une réconciliation de l'Irak avec l'Iran. Téhéran et Damas entretiennent de bonnes relations pour la plus grande satisfaction de Moscou et la plus grande inquiétude d'Ankara. Si à court terme, la réconciliation devait intervenir entre Bagdad et Téhéran, le bloc progressiste arabe se souderait avec le bloc irano-chiite. Cette perspective, qui n'est encore qu'une hypothèse, inquiète vivement les chancelleries occidentales. Fort de cela, on comprend mieux la politique actuelle de la France dans la zone. Une fois de plus, la diplomatie française dans le monde arabe s'assigne l'équilibre comme priorité pour éviter que les blocs ne se constituent et s'affrontent. C'est peut-être dans cette perspective qu'il fallait comprendre la visite du ministre des affaires étrangères à Damas. La France entretient de bonnes relations avec la plupart des composantes du monde arabe : elle a été l'une des premières à dire publiquement que la stabilisation du Moyen-Orient passait par la réintégration dans le jeu diplomatique de l'Iran et de l'Irak. Cette attitude n'a pas beaucoup plu ni à Israël et ni aux Etats-Unis. Après la mise en place de nouvelles alliances, c'est pourtant le seul moyen d'éviter de nouvelles tensions susceptibles de déboucher sur de nouvelles guerres.
Après l'élection en Israël, I'impasse des négociations sur le Golan et le blocage palestinien dû à la présence des colonies israéliennes en Cisjordanie, la clef se trouve à Damas. Une fois de plus.
Si l'Egypte ne convainc pas la Syrie de poursuivre le dialogue, on se dirige vers une refonte du dispositif géopolitique syrien. Et vers un certain nombre de désordres... L'avenir de la zone repose, finalement, sur quatre hommes : Assad de Syrie, Hussein de Jordanie, Hussein d'Irak et Arafat. Tous ont en commun une longue carrière politique derrière eux et aucun « dauphin désigné », toutes choses peu rassurantes. Les mois à venir s'annoncent décisifs et une fois passés les élections américaines et le renouvellement du secrétaire général de l'ONU, le Moyen-Orient aura le choix entre le statu quo, la marche vers la paix ou la préparation d'une grande guerre.