Michel Dolbec

Hexagonal



Le Pen : un vrai dur

par Michel Dolbec ¤


Contre Le Pen, personne ne monte au front.


Mokeït
Vache folle : premier cas
de tranmission du virus
à un porc!!
Doit-on envisager l'abattage ??



IL y a chez Jean-Marie Le Pen un côté catcheur sur le retour qui m'a toujours frappé. Je l'imagine très bien sur un ring, dans le camp des méchants, des vicieux. Dans le coin gauche, le voici, mesdames et messieurs : Jean-Marie « Mad dog » Le Pen, alias « The Killer ».

Des raisons pour expliquer les succès de l'extrême-droite en France, il en existe des centaines. Mais il n'est pas aisé de comprendre pourquoi tous ces gens se reconnaissent en Jean-Marie Le Pen, pourquoi ils s'identifient à lui. Le Pen porte son parti. Sans lui, le Front national ne serait pas ce qu'il est. On « vote Le Pen », on «partage les idées de Le Pen », on pense que « Le Pen ne dit pas que des conneries ». On trouve sûrement au FN de véritables « lepenolâtres » ; tous ses électeurs ne sont pas des victimes poussées dans les filets de l'extrême-droite par la crise, la corruption des élites, le malaise des banlieues, les manoeuvres politiciennes de la gauche et de la droite.

On soulignera que Le Pen est un communi-cateur hors du commun, qu'il sait trouver les mots pour parler à toute une frange de la population désemparée, inquiète, sans repères, etc. Son discours grandiloquent n'est pas de la première fraîcheur mais il fait mouche. Il semble pourtant difficile d'imaginer que l'on vote pour lui dans les quartiers pauvres de Marseille ou à Toulon seulement parce qu'il « communique bien » ou qu'il manie le subjonctif de l'imparfait avec plus d'aisance que bien des littéraires.

Pour un étranger nourri de clichés sur la France éternelle et élégante, il y a là une espèce de mystère. Pourquoi lui ? On aurait pu ne pas vouloir de Le Pen, lui préférer je ne sais pas, un self-made-man milliardaire et démagogue à l'américaine, un technocrate froid et efficace ou un bourgeois très Vieille France, raffiné et condescendant envers les « grands enfants que sont les Africains ».

Mais non : la seule personnalité politique occidentale qui ait réussi à installer solidement l'extrême-droite dans le paysage politique de son pays est un dur de dur qui n'a même pas envie d'avoir l'air fréquentable ! Un bagarreur de rue qui ne craint ni de donner des coups ni d'en prendre. Bien sûr, il n'est plus très jeune, il s'est empâté, mais il reste redoutable. Le Pen ne se contente pas de débattre, il semble toujours prêt à se battre. Son discours est haineux, il est teigneux. C'est cohérent. « Avec lui, doivent se dire ses partisans, il n'y aura pas tromperie sur la marchandise. » Ils réclament l'ordre, l'expulsion sans ménagement des étrangers, la prison pour les voyous, la peine de mort pour les assassins. Leur chef promet de ne pas faire dans la dentelle.

Avec Jean-Marie Le Pen, la France, comme souvent, se fait caricaturale. Giscard, Mitterrand ou Balladur versaient dans le style monarchique. Avec Le Pen, son menton, ses mimiques, son oeil de verre, son look de dog de combat, ses coups de gueule de limonadier breton, on fait dans l'autoritaire. Les manifestations du FN offrent aussi à l'étranger de passage et en mal de clichés une intéressante galerie de personnages « classiques ». La concierge mesquine qui dénonce « ceux du troisième », le chauffeur de taxi et ses bergers allemands, l'employée d'administration acariâtre, la vieille dame à toutou qui ne veut « pas de ça » chez elle : ils défilent comme dans un film d'après-guerre.

Evidemment, il y a du racisme partout. Etre noir aux Etats-Unis n'est pas à proprement parler une très bonne idée. Mais en Amérique, Le Pen n'aurait pas survécu (en tout cas à l'échelle nationale) à son « Durafour crématoire » et autres « point de détail ». Au Québec, l'ex-premier ministre indépendantiste a fait scandale l'an dernier en attribuant la défaite de son camp lors du reférendum au «vote ethnique » (c'est-à-dire non-francophone). C'était vrai d'un point de vue statistique mais politiquement maladroit, voire malsain. Il a démissionné. Certaines télévisions françaises se sont empressées de parler de « déclaration raciste ». Jamais pourtant elles n'ont osé lâcher ce gros mot au sujet de Le Pen, même après ses récents aveux sur l'inégalité des races. Cela relève d'un trait sociologique purement français. On a ici l'obsession de la chose nommée. N'existe pas ce qui n'a pas de nom. Or, la classe politique et les grands médias ont été incapables d'en donner un au Front national. Xénophobe, droite extrême, droite de la droite ? On a tout essayé. Sauf raciste. Comme il est difficile de lutter contre ce que l'on ne nomme pas, les Français se sont laissés aller à un autre de leurs travers : parler. Pendant que Le Pen marquait des points, on discutait doctement dans les gazettes de la stratégie à suivre. Diaboliser, banaliser, transiger, convaincre, poursuivre, interdire ? Il ne s'est donc trouvé personne sur le chemin de Jean-Marie Le Pen pour I'affronter au corps à corps. Les journalistes vedettes de la télévision risquaient de toute façon d'être renvoyés à leurs fausses interviews, à leur train de vie, à leurs condamnations, à leurs mariages avec des personnalités socialistes ; les politiques à leurs fausses factures, à leurs somptueux appartements, que sais-je encore. « On ne jette pas de pierres lorsqu'on habite une maison de verre », disent les Anglo-Saxons.


¤ Correspondant à Paris de l'agence La Presse canadienne.


Contacts© Le Chroniqueur, n°1, Octobre 1996, Paris.