Gilles Vidal

Destination



Barcelone

par Gilles Vidal ¤



Roxanne & Garance
Roxanne et Garance


JE Je suis venu à Barcelone pour la première fois il y a bien longtemps, lorsque j'étais encore petit, en vacances avec la famille, et, à vrai dire, je ne me souviens pas de grand-chose, excepté des odeurs et des cris exotiques du Rambla...

Dans la chaleur de cette fin juillet, j'ai eu un mal de chien à pénétrer dans la ville. J'ai fini tout de même par y entrer, poussé par le flot de la circulation toujours aussi indisciplinée, bigarrée de taxis jaunes et noirs, de la Muntaner à la large avenue Diagonal, de la Gràcia jusqu'à la majestueuse place de la Catalogne. Je me suis retrouvé sur le Rambla de mes légendes enfantines. Mais pour se garer aujourd'hui, nénette ; c'est pire que Paris. J'ai dû me rabattre vers le fond du tréfonds du port, à deux encablures de la statue de Colomb et son esplanade de la Batéria où le parking semblait bel et bien gratuit. Et puis, et puis, chers amis, comment parler du reste, du plat de résistance lui-même ? De San Miguel en Estrella avalées d'un trait et presqu'aussitôt rejetées...

Roxanne et Garance

Après avoir finalement pris une chambre trop chère, frisant le sordide, à l'hôtel Barcelona House, j'ai plongé en apnée dans ces toujours mêmes venelles étonnantes du quartier du Rambla, croisant des musiciens et artistes de rue, certains excellents, d'autres qui me laissaient plus que perplexe (des types ou des nanas ioulant des inepties canardesques). Parfois, au détour d'une ruelle, je découvrais des portes d'échoppes entrebâillées qui donnaient sur des lieux frais et sombres, magiquement conservés, où l'odeur de vieux bois et papier semblait remonter tout droit du début du siècle. Et, aussi, la librairie Arrels, étroite et toute en profondeur, au 14 calle Ferran, où Aurélia Péres, la patronne passionnée qui, après m'avoir conseillé en bon français les meilleurs bouquins espagnols du moment, me raconta ses amitiés assidues avec les écrivains catalans, me montrant fièrement une photo où elle posait, souriante et plus jeune, aux côtés de Manuel Vasquez-Montalban, l'illustre enfant du pays.

Roxanne et Garance

Quant au Rambla lui-même, je ne voudrais même pas en parler, tant son nouvel aspect m'a déçu : attrape-gogos en tous genres tous les dix mètres, qui un guignol maigrelet se prenant pour le King Elvis en personne, qui trois hommes caoutchouc trampolinant sur le ciment au risque de se péter la tronche, qui une danseuse du ventre faisant plutôt adroitement gigoter ses gros seins portés fièrement en avant, qui encore un vieux couple de hippies italiens grisonnants exploitant odieusement leurs trois petites filles-singes, transfuges jouant du diabolo acrobatique avec le même sérieux que des candidates d'un jeu télévisé de la RAI. Le stade et le village olympiques, je n'y suis même pas allé. A quoi bon ? Pour voir en béton et en verre ce que j'avais vu à l'époque d'un oeil très distrait à la télé ? Pour constater la disparition définitive d'ancestraux quartiers à putes...

Roxanne et Garance

Le lendemain matin, après une nuit emplie de chaleur étouffante, et avant de quitter cette ville que j'aime somme toute viscéralement, j'ai fait une étape obligée à la Sagrada Familia de l'immense Gaudi, Sagrada en perpétuels travaux depuis que je la connais, c'est-à-dire un bail. J'ai dû renoncer à la visiter, tant la queue de touristes était longue devant la porte d'entrée, débordant même jusque dans la rue. Mais j'ai mangé un morceau, à la terrasse d'un café.

Roxanne et Garance

Alors que je finissais une paëlla vraiment pas terrible, j'ai vu un type d'un certain âge dans une cabine télépho- nique, qui, le plus tranquillement du monde, était en train de forcer le bas de l'appareil avec un tournevis, ou plutôt une mèche de perceuse, se servant du combiné comme d'un marteau. Lorsque, arrivé à ses fins, il prit sa poignée de malheureux pesetas, le serveur qui passait dans le coin m'a fait signe de la main qu'il fallait laisser courir, et, du doigt, que de toute façon il lui manquait un grain. Barzelona zera touzours Barzelona...


¤ Journaliste, écrivain
Prochain ouvrage à paraître :
Angles d'attaque, Méréal.


Contacts© Le Chroniqueur, n°1, Octobre 1996, Paris.