Enfants violents
par Daniel Mermet ¤
Nicolas Crozet
BILLET parfumé, capote déchirée, chtouille carabinée
que reste-t-il de nos amours ?Photo recollée, sommier défoncé,
du miel,
du fiel, que reste-t-il de tout cela ?Des draps à laver,
deux dentiers dans le même verre,
un cercueil sur les graviers
Que reste-t-il ?Regrets jaunis, passé poussière et au suivant !
Eh, oui, voilà ce qui reste, le suivant, le prochain, l'enfant...
Pas toujours, certes, pas toujours...
180 millions de spermatozoïdes qui foncent, désespérés, pour semer,
peut-être.S'aimer c'est semer, on oublie on dirait,
on parle d'autre chose, on passe à côté, on passe sa vie hors de soi,
l'homme passe sa vie à ne rien faire de sa vie.On le voit, se nouer les boyaux de sa tête, se faire un sang d'encre, il y a de quoi, mais on oublie le plus simple appareil,
la vie, l'amour, et tous ces machins-là.Prenez la mort par exemple, on ne pourra pas se faire remplacer ce jour-là comme si on ne pouvait plus voyager avec les énigmes
ces lampes sacrées,
comme si on ne savait plus quoi faire avec les questions sans réponse.Si une question n'a pas de réponse supprimons la question
comme si
avec quel appareil mesure-t-on l'infini ?La communication nous fait croire que tout éclaire que tout est clair
tout voir c'est pas tout savoir
informer c'est pas former
Alors ?Alors broussaille, brouillard, labyrinthe et tâtons,
à chantonner tout seul contre la peur du noir.Aucun repère
Sauf le désir, « Nous qui désirons sans fin », oui, sauf le désir,
J'aime bien penser comme ça certains jours, sans raison, des jours comme celui-ci
le désir on le sait, le désir on le sent, on l'attrape par la queue, on la montre à ces messieurs
c'est tangible, ça gonfle, ça mouille, ça crie, ça crève, ça vagit,
et au suivant
l'enfant au bout du bout du bout de la vie
sous les palmes quand la mamie s'éteint devant la télé allumée
que regarde-t-elle avant de partir ?La photo de son arrière petite-fille en bleu sur la cheminée,
Margot,
la dernière berceuse c'est pour l'enfant que je fus qui revient
au bout des vanités, des belles castagnes, des barbaries.Un jour comme aujourd'hui, ce que je veux te dire, Monique
c'est que tu fais trop marcher ton néo-cartex et pas assez ton cul.La France est tout de même la quatrième puissance mondiale.
On entend ça, histoire d'exprimer notre problème hexagonal d'identité.
Mais dans cette puissance est-ce qu'on met Voltaire, Rabelais, Fragonard,
et Camus, est-ce qu'on met le vin d'Irancy, est-ce qu'on met certain soir de juin sur la Loire, est-ce qu'on met les yeux de ma petite-fille, Margot ?Je suis travaillé par cette idée, ces jours-ci : il y a un chemin qui mène de l'exploitation à l'exclusion et de l'exclusion à l'élimination. On a plus besoin des hommes. Nous sommes de plus en plus à être de trop, à être menacés d'être de trop. Pour cette solution finale les Kapos sont déjà prêts. Les riches n'ont plus besoin des pauvres. Sauf pour consommer. Le dernier lien est un grille-pain. Comment comprendre, comment rire, comment pleurer de tout ça ? Alors que nous ne savons même pas répondre à la question suivante :
Pourquoi, aussitôt que l'homme a chié, il regarde l'étron * ?
* C'est Antonio Vignale qui pose cette question Secrétaire du cardinal Cristoforo Madrucci, gouverneur de Milan, cet auteur, mort en 1559, fonda dans sa ville natale de Sienne, l'Académie des Intronati, c'est-à-dire des hébétés, des stupides.
¤ Journaliste - Là-bas si j'y suis, France Inter.
Dernier ouvrage paru : La Cazzara, Jean-Paul Rocher Editeur.